TALUS
n° 19-20 - décembre 2004
BASTIT À LA BASTILLE par Bruno Duval
Tristan Bastit
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On dit que le grand peintre ayant fait un ouvrage,
Des jugements d’autrui tirait cet avantage,
Que selon qu’il jugeait qu’ils étaient, vrais ou faux,
Docile à son profit, réformait les défaux.
Or, c’était le bon temps que la haine et l’envie,
Par crimes supposés n’attentaient à la vie;
Que le vrai du propos était cousin germain,
Et qu’un chacun parlait le coeur dedans la main...
Mathurin Régnier, Satyre XII (À M. Fréminet) |
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Le Concombre masqué (1976)
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La curiosité l’emportant de justesse sur la timidité, j’ai abordé, dans les années
quatre-vingt, un menhir à la fois jovial et taciturne au Marché de la poésie,
où il tenait un stand regroupant plusieurs petits éditeurs régionaux, certains
d’entre eux bretons. Je ne savais même pas alors — mais peut-être, à l’époque,
ne tenais-je pas trop à le savoir — que ledit menhir venait d’ouvrir à la Bastille
une librairie à l’enseigne de La Marraine du sel, lors de l’inauguration de laquelle
des amis d’amis avaient assisté à une lecture de Maurice Fourré, que, vingt ans
auparavant, m’avait fait découvrir une lecture exhaustive d’André Breton. Ignorant
le nom du menhir, je ne me doutais pas alors que je reverrai bientôt, sous de
nouvelles auspices fourréennes et bretonnes à la fois, Bastit à la Bastille.
Quelques années plus tard, à la soirée de fermeture définitive de la librairie,
qui « faisait » aussi galerie, je suis arrivé trop tard pour entendre une nouvelle
lecture de Fourré: « Tristan, c’est attristant...» , déplorait, avec sa manie
du calembour, l’Enchanteur Merlin (Claude), directeur de la troupe des récitants.
On aurait cru assister à l’ultime dispersion des Chevaliers de la Table ronde,
traditionnellement entendue, dans les manuels de littérature, comme Matière de
Bretagne. Que m’importait alors que le patron de l’officine maniât, à ses moments
perdus, le « pinceau d’Ingres », selon l’expression que Fourré lui-même appliqua
jadis à son introductrice dans les Temps modernes, l’écrivain Colette Audry :
dans les fringuantes années quatre-vingt, la Bastille toute entière n’était qu’un énorme
pinceau dingue, dont, d’année en année, tout un chacun se disputait le Génie.
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Wizard of Oz (1979)
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Les tendances passent, les valeurs restent, telle est la loi du seul marché de
l’art qui tienne, celui... des poètes. Si l’art, selon Duchamp, « vient d’un
mot sanscrit qui signifie faire », la poésie vient d’un mot grec qui signifie
créer, ou mieux re-créer. Qu’importent les tendances du cours quand l’heure
de la récréation a sonné. D’ailleurs, comme l’a fait Duchamp, affoler la meute
avec des objets de consommation courante pour ne pas avoir à livrer aux chiens
la clef de son propre mystère n’est pas précisément poser au faiseur.
Avant tous les retours pathétiques de l’art dit vrai à la figuration, c’est-à-dire à la
fiction, Bastit a subi l’influence de l’imaginaire contemporain le plus factice
: ciné, télé, bédé. Mais ces nouveaux vecteurs de mythologies aliénées, sinon
totalement aliénantes, n’avaient-ils pas eux-mêmes, pour atteindre le coeur
des masses, subi l’influence de la Fable, c’est-à-dire du monde ? Mundus est
fabula, disait Descartes. Entre l’un et l’autre, le seul point de convergence
objective réside, selon Bastit, dans la notion jungienne d’archétype. À l’opposé de
ceux qui, des deux côtés de l’Atlantique, se contentent depuis des lustres
de reproduire l’image des comics pour en tirer des effets plus ou moins comiques,
Tristan l’ingurgite pour en extraire l’archétype d’une vision fabuleuse, qu’il
bâtit de toutes pièces, comme un Rose-hôtel. Du point de vue de la clientèle,
l’avantage d’un tel discours, c’est qu’au même titre de toute servilité à l’égard
de l’icône médiatiquement révérée, toute condescendance culturelle envers la « mythologie
populaire » est abolie. Comme re-création artificielle qui garde encore, en
profondeur, son mot à dire
sur le monde, la peinture en ressort grandie.
Elle en avait besoin.
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Monsieur Gouverneur (1999)
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Miss Kwackwack (2000)
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